Analyser les eaux usées pour prédire les éclosions virales
Par Christina P. Hooton
Un agent pathogène peut se déplacer silencieusement dans une communauté avant de faire connaître sa présence. Les personnes contagieuses peuvent présenter des symptômes tardifs ou être asymptomatiques, et infecter les autres sans le savoir. Soudain, de nombreuses personnes sont atteintes de la même maladie. Pour éviter qu’un virus ne devienne un problème au niveau d’une ville, d’une province ou d’un État, il faut savoir que les gens sont malades avant que des signes ne soient visibles. Il semble peu probable de parvenir à ce genre de prescience, mais les eaux usées, une ressource abondante et accessible, sont récemment devenues un endroit populaire pour rechercher les signes avant-coureurs.
Les chercheurs et les communautés du monde entier ont essayé de comprendre l’efficacité de l’épidémiologie basée sur les eaux usées pour prédire les poussées de cas de COVID-19. Puisqu’une personne infectée par le virus commence à l’excréter dans ses selles avant d’éprouver des symptômes, le test de l’eau usée peut nous aider à anticiper une augmentation des cas plus tôt que les résultats des tests cliniques.1 Et, comme les tests cliniques, la détection est possible chez les patients symptomatiques et asymptomatiques.
La technique n’est pas nouvelle. En 2013, une épidémie de polio sauvage a été détectée grâce à la surveillance environnementale des eaux usées en Israël.2 Ce type de surveillance au niveau national commence à prendre forme aux États-Unis en réponse à la pandémie. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et le ministère américain de la santé et des services sociaux ont créé le National Wastewater Surveillance System (NWSS) afin de mieux comprendre l’étendue des infections au SRAS-CoV-2 dans les communautés. À terme, les services de santé des États, des tribus, des collectivités locales et des territoires pourront soumettre leurs données d’analyse des eaux usées par l’intermédiaire d’un portail, et ces données seront résumées et interprétées afin de contribuer aux actions de santé publique. En outre, le CDC alloue 33 millions de dollars aux laboratoires de santé publique pour qu’ils commencent à effectuer des tests sur les eaux usées.
Tester le pouvoir des eaux usées
Deux chercheurs de l’école de médecine de l’Université du Minnesota ont étudié l’efficacité des tests sur les eaux usées pour prévoir l’augmentation des cas de COVID-19 dans leur État. Les professeurs adjoints Glenn Simmons Jr, Ph. D., et Richard Melvin, Ph. D., ont recueilli et analysé des échantillons provenant des stations d’épuration de 19 villes du Minnesota entre mai 2020 et août 2020. L’équipe a d’abord commencé à tester les eaux usées des résidences universitaires afin de prévoir et de prévenir les éclosions de COVID-19 chez les étudiants, avant de se tourner vers un projet aux répercussions plus larges. Ils ont spécifiquement cherché à comprendre ce qui se passerait dans une grande région aux populations diverses sur une longue période de temps. Une version préliminaire de leur étude est disponible sur medRxiv et fait actuellement l’objet d’une révision par les pairs.
Ils ont pu détecter la présence de l’ARN du SRAS-CoV-2 dans les eaux usées de villes dont la population varie de 500 à plus d’un million d’habitants, et ce, 15 à 17 jours avant la confirmation de nouveaux cas cliniques. Depuis qu’ils sont passés d’un échantillonnage de 19 villes une fois par semaine à un échantillonnage de 44 villes deux fois par semaine, cette fenêtre s’est réduite à entre 10 et 14 jours.3
« En regardant les eaux usées, on voit ce qui va se passer à l’avenir avec les cas cliniques. Et cela s’est produit de manière constante depuis que les tests sur les eaux usées sont effectués dans notre laboratoire », a déclaré le Dr Simmons.
Ce type d’information est particulièrement précieux dans les régions où l’accès au dépistage varie. Le Dr Simmons a déclaré qu’il avait d’abord abordé ce projet sous l’angle de l’équité. « À Duluth, nous avons différents groupes de gens qui ont des circonstances différentes. Les tests au volant sont très pratiques, mais qu’en est-il pour les personnes qui n’ont pas de voiture », a-t-il demandé. Certains cas pourraient me pas être détectés.
« En regardant les eaux usées, on voit ce qui va se passer à l’avenir avec les cas cliniques. »
Créer un flux régulier de données
Le lancement d’un projet de recherche comme celui du Minnesota a nécessité la participation et l’adhésion de plusieurs stations d’épuration des eaux usées situées à différents endroits. En outre, ils avaient besoin de suffisamment de personnel de laboratoire pour traiter les échantillons, une ressource qui s’est avérée insuffisante pendant cette période de la pandémie. Ils ont recruté des diplômés récents pour travailler dans leur laboratoire et ont sollicité la participation des stations d’épuration des eaux usées par le biais du site Web du Minnesota Environmental Science and Economic Review Board.
Une fois le cadre en place, des échantillons composites ont été collectés par le personnel de l’usine sur une base hebdomadaire, puis bihebdomadaire, et expédiés au laboratoire pendant la nuit sur de la glace. Dès réception, le personnel du laboratoire a stérilisé les tubes et a pasteurisé les échantillons en vue de l’extraction de l’ARN. Les échantillons d’ARN extraits ont ensuite été testés pour le SARS-CoV-2.
Extraire des informations significatives
Le fait de recueillir des eaux usées provenant de différentes villes signifiait qu’il y aurait un nombre important de variables affectant la concentration d’agents pathogènes. Ces variables incluent notamment la présence d’industries et des variations dans la taille et le débit de chaque installation de traitement des eaux usées.
Pour tenir compte des variations de chaque installation, les chercheurs ont utilisé le virus de la marbrure légère du piment (Pepper Mild Mottle Virus) comme norme. Ce virus est le virus à ARN le plus abondant dans les matières fécales humaines et reste stable dans diverses conditions environnementales4 Ils ont mesuré l’impact des variations du système sur les niveaux de concentration de ce virus et ont classé chaque installation en conséquence.
En outre, l’équipe a dû normaliser les données brutes pour les transformer en informations digestes et adaptées à la consommation publique. Ils ont créé l’indice de Melvin, une valeur simplifiée permettant de suivre les niveaux de virus par rapport au virus de la marbrure légère du piment.
Aller de l’avant avec l’analyse des eaux usées
Si les tests sur les eaux usées s’avèrent être un outil efficace pour suivre l’évolution des cas de virus, il reste des informations qu’ils ne peuvent fournir. Le Dr Simmons a mentionné les limites de l’estimation du nombre de personnes infectées sur la base des seules eaux usées. Le nombre de variables en fait un jeu de devinettes complexe.
Les tests cliniques restent le moyen le plus précis de dénombrer les cas de virus. Toutefois, si une augmentation suffisamment importante du virus est constatée dans les eaux usées avant que les cas cliniques ne commencent à augmenter, des ressources peuvent être allouées aux zones touchées.
Cela s’est récemment produit à Davis, en Californie. Les responsables de la santé et les chercheurs ont constaté une augmentation potentielle des cas grâce à la surveillance des eaux usées, et les responsables locaux ont envoyé des alertes et encouragé les habitants des quartiers concernés à se faire tester. En combinant avec l’échantillonnage des patients, ils ont pu confirmer la présence du variant Delta.5
Les variants sont une autre pièce du casse-tête que le Dr Simmons et son équipe aimeraient intégrer à leurs études d’ici la fin de l’année. Et il existe un potentiel pour les virus futurs. La grippe, par exemple, a été détectée avec succès dans les eaux usées pendant la pandémie H1N1 de 2009, selon une étude néerlandaise. « L’un de nos souhaits est que ce système reste en place, et que nous changions simplement ce que nous regardons. Ou bien nous créons un panel de différentes cibles que nous examinons, qu’il s’agisse d’une autre maladie tropicale émergente, comme le virus Nipah ou le chikungunya, ou le SRAS », a déclaré le Dr Simmons.
Il souligne qu’en fournissant des données de surveillance sur les nouveaux virus émergents à petites doses, au fur et à mesure qu’elles nous parviennent grâce à des techniques telles que l’analyse des eaux usées, nous créons une conversation permanente avec les gens et les aidons à mieux comprendre la science sans les submerger. Ce type de dialogue et de transparence restera un élément essentiel de la gestion des crises de santé publique, aujourd’hui et à l’avenir.
Christina P. Hooton est une rédactrice de Thermo Fisher Scientific.
Références
1. Jones D.L., Baluja M.Q., Graham D.W., Corbishley A., McDonald J.E., Malham S.K., et coll. (2020). Shedding of SARS-CoV-2 in feces and urine and its potential role in person-to-person transmission and the environment-based spread of COVID-19. Sci Total Environ, 749. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.141364
2. Brouwer, A.F., Eisenberg, J.N.S., Eisenberg, M.C., Grotto, I., Hindiyeh, M., Koopman, J.S., Manor, Y., Pomeroy, C.D., Shulman, L. M., (2018). Epidemiology of the silent polio outbreak in Rahat, Israel, based on modeling of environmental surveillance data. Proceedings of the National Academy of Sciences, 115(45). https://doi.org/10.1073/pnas.1808798115
3. Chaudhry, N., Freese, R., Georgewill, O., Melvin, R.G. & Simmons, G.E. (2021). Predictive power of SARS-CoV-2 wastewater surveillance for diverse populations across a large geographical range. medRxiv. https://doi.org/10.1101/2021.01.23.21250376
4. Kitajima, M., Sassi, H.P. & Torrey, J.R. (2018). Pepper mild mottle virus as a water quality indicator. npj Clean Water, 1, Article 19. https://doi.org/10.1038/s41545-018-0019-5
5. Abbott, B. (25 juillet 2021). Wastewater Helps Health
Officials Spot Covid-19 Warning Signs. The Wall Street Journal. https://www.wsj.com/articles/wastewater-helps-health-officials-spot- covid-19-warning-signs-11627214400
